France : L’Etat français responsable d’un préjudice écologique. Justice (partielle) pour le Vivant !

  6 juillet 2023


Le 29 juin 2023, le Tribunal administratif de Paris a fait application des dispositions 1246 et suivants du Code civil relatives à la réparation du préjudice écologique dans le cadre du recours déposé en janvier 2022 par cinq associations, Notre affaire à tous, POLLINIS, Biodiversité sous nos pieds, Association nationale pour la protection des eaux et rivières Truite-Ombre-Saumon (ANPER-TOS), Association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (ASPAS), à l’encontre des carences et insuffisances de l’Etat en matière d’évaluation des risques et d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, et de protection de la biodiversité contre les effets de ces produits. 

L’action en réparation du préjudice écologique est jugée recevable, dès lors que les associations requérantes ont bien pour objet statutaire la protection de la nature et la défense de l’environnement, comme l’exigent les articles 1248 du Code civil et L.142-1 du Code de l’environnement. L’intervention au soutien de l’Etat du syndicat des entreprises productrices de pesticides, Phyteis, a par ailleurs était admise. Lors de l’audience, les arguments de l’Etat avaient seulement été présentés par ce lobbies des pesticides, aucun représentant du Gouvernement n’ayant fait le déplacement ce jour-là. 


D’abord, le Tribunal administratif reconnaît l’existence d’un préjudice écologique, qui résulte à la fois de la contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols par les substances actives de produits phytopharmaceutiques, de la diminution de la biodiversité et de la biomasse en raison de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques, ainsi que de l’atteinte aux bénéfices tirés par l’homme de l’environnement.

Ensuite, après avoir rappelé le cadre juridique applicable en matière de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques au sein de l’Union européenne, et souligné la marge de manœuvre dont dispose les Etats Membres dans ce processus… : 

Dans l’hypothèse où une substance active est approuvée par les autorités communautaires, un Etat membre peut toujours appliquer le principe de précaution, lorsqu’il existe une incertitude scientifique quant aux risques concernant la santé humaine ou animale ou l’environnement que représentent les produits phytopharmaceutiques devant être autorisés sur leur territoire. En France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), à qui il revient cette compétence, a pu en faire usage en annonçant son intention de retirer les autorisations des principaux usages des produits phytopharmaceutiques contenant la substance active S-métolachlore, en février 2023. 

… Le Tribunal retient que l’Etat est responsable de ce préjudice écologique, en raison du non-respect des objectifs de réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques* et de la méconnaissance de son obligation de protection des eaux souterraines contre les incidences des produits phytopharmaceutiques.

* Concernant le non-respect des objectifs de réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, le Tribunal affirme ainsi la portée normative de ces objectifs que l’Etat s’était lui-même fixés à travers les Plans Ecophyto, et qu’il n’a pourtant jamais réalisé. Comme en matière de justice climatique, on retrouve donc ce contrôle de trajectoire des politiques publiques. 

Toutefois, la responsabilité de l’Etat n’est pas engagée pour les autres griefs invoqués par les requérants, à savoir : 

  • L’absence de procédure de suivi et de surveillance des effets des produits phytopharmaceutiques ;
  • Le défaut d’indépendance des missions d’évaluation et d’autorisation de l’ANSES ;
  • La violation de l’interdiction de mise sur le marché de produits présentant un risque de dommage grave et irréversible à l’environnement ;
  • Le manquement à l’obligation de protection des eaux de surface et le non-respect des objectifs européens d’amélioration de la qualité chimique des eaux ;
  • Les insuffisances dans la mise en œuvre de la procédure d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques.
    • S’il y a bien une carence fautive de l’Etat en la matière, le Tribunal n’engage pas sa responsabilité sur ce point, au motif que le préjudice écologique qui en découle est non certain, dès lors que le résultat des études supplémentaires que pourrait exiger l’ANSES n’est pas connu à la date du présent jugement et qu’il ne peut donc en être inféré avec certitude que cela aurait pour effet de modifier significativement la nature ou le nombre des produits phytopharmaceutiques mis sur le marché.

Finalement, le Tribunal précise que les mesures concrètes de nature à permettre la réparation peuvent revêtir diverses formes et expriment, par suite, des choix relevant de la libre appréciation du Gouvernement. Il enjoint donc à l’Etat, de prendre toutes les mesures utiles, avant le 30 juin 2024 : 

  • de nature à réparer le préjudice écologique et prévenir l’aggravation des dommages en rétablissant la cohérence du rythme de diminution de l’utilisation des produits phytosanitaires avec la trajectoire prévue par les plans Ecophyto
  • en vue de restaurer et protéger les eaux souterraines contre les incidences des produits phytopharmaceutiques et en particulier contre les risques de pollution. 

Au-delà, en cas de non respect, des astreintes pourraient être prononcées, comme dans l’Affaire du Siècle où une astreinte financière de 1,1 milliard d’euros est demandée par les associations requérantes. 

Enfin, l’Etat est condamné à payer aux associations la somme d’un euro symbolique chacune au titre de la réparation de leur préjudice moral, et leur remboursera les frais de justice.