France : Un projet de loi pour l’indemnisation des victimes des pesticides en discussion au Sénat

  30 janvier 2018

Le 1er février sera discuté au sénat un projet de loi pour l’indemnisation de toutes les victimes des pesticides.

L’association Générations Futures analyse le projet de loi et invite les citoyens à agir.

Présentation du processus de création du projet de loi

En 2016, la sénatrice Nicole Bonnefoy a proposé un fonds d’indemnisation des victimes des pesticides abondé par les fabricants de ces produits. L’objectif visait à compléter le dispositif — jugé incomplet — de réparation des préjudices des victimes des pesticides en permettant la prise en charge de la réparation intégrale de ces préjudices, que les maladies soient ou non d’origine professionnelle.

Cette version 1 de la loi n’avait pas à l’époque pu être discutée en assemblée. En janvier de cette année, le projet de loi est revenu dans les débats. En effet, ce dernier a été amendé et le 24 janvier 2018 en commission des Affaires sociales du Sénat et sera présenté en assemblée plénière du Sénat le 1er février. Générations futures a été auditionnée par le rapporteur de la loi, M. Jomier, en amont du passage en commission des Affaires sociales et a pu faire remonter un certain nombre de remarques.

Décryptage du contenu du projet de loi

Si, lors de cette audition, nous reconnaissions l’intérêt d’un tel fonds parce qu’il permet de reconnaître qu’il existe des victimes des pesticides, nous savons aussi insister sur plusieurs points qui nous paraissent essentiels.

Premièrement, il était très important pour nous que ce fonds couvre toutes les victimes des pesticides et pas uniquement les professionnels ayant été exposés à ces produits et ayant obtenu une reconnaissance en maladie professionnelle. Ainsi, nous avons insisté sur le fait que toutes les personnes susceptibles d’être exposées — sans en être des utilisatrices — à ces pesticides, notamment les riverains de zones cultivées de manière intensive, puissent bénéficier d’un accès à ce fonds. Dans la première version de la loi, si l’intention y était cela n’était pas suffisamment établi dans les articles. Ce point a été clarifié, puisque désormais dans son article 1, il est clairement indiqué que toutes « personnes exposées » aux pesticides pourront faire appel au fonds.

Deuxièmement, nous avons insisté sur le fait qu’il était nécessaire de prendre en compte un nombre élargi de pathologies, et non pas uniquement seules celles inscrites au tableau des maladies professionnelles qui à l’heure actuelle ne sont au nombre que de deux (à savoir le lymphome non hodgkinien et la maladie de Parkinson). Or la science a prouvé, notamment grâce au travail d’expertise de la recherche médicale française (INSERM), que de nombreuses pathologies (divers cancers, troubles du système nerveux ou du comportement, etc.) pouvaient être liées à cette exposition aux pesticides. Cet argument a été entendu puisque dans l’article 1 la loi indique désormais qu’un arrêté devrait être pris par les ministères de la Santé et de l’Agriculture listant les pathologies à prendre en compte. Il faudra donc être très attentif, si la loi est votée, à la rédaction de cet arrêté.

2 articles nous posent problème et mériteraient d’être amendés. Le premier (article 2) concerne la gestion du fonds qui serait dans les mains de la mutualité sociale agricole (MSA). Pour nous ce point pose un réel problème. En effet, pour de nombreux agriculteurs il est très difficile d’obtenir, via la MSA, la reconnaissance de la maladie professionnelle en lien avec les pesticides. De même, les expériences sur d’autres fonds d’indemnisation tendraient à prouver que l’objectif recherche est le plus souvent d’exclure le plus possible les victimes du dispositif sur des bases arbitraires. Nous avions évoqué l’idée que la gestion soit dans les mains d’un comité ad hoc composé de médecins bien sûr, mais aussi de toxicologues, ergotoxicologues, ingénieurs de prévention, agriculteurs, syndicaliste et même des membres de la société civile qui ont des connaissances sur les conditions d’exposition et de contamination des victimes. La loi prévoit « un conseil de gestion dont la composition est fixée par décret ». Ce qui est un pas intéressant. Si la loi est adoptée en l’état, il nous faudra être vigilant 1) sur la composition de ce conseil de gestion 2) sur la définition de son rôle et de ses compétences. Un conseil non suffisamment élargi et ouvert poserait de réelles questions en matière de gouvernance et de transparence et jetterait le trouble sur les décisions.

Dernier point qui pose problème, et non des moindres, il s’agit du financement du fonds (article 7). Certes il est noté qu’une fraction de la taxe sur les pesticides alimentera le fonds, complété éventuellement par d’hypothétiques dons legs et des dédommagements. Il est probable que ces sommes ne seront pas suffisantes pour couvrir les besoins. En outre, nous avons insisté sur le fait que le fonds devait être abondé par les fabricants de pesticides ainsi que les distributeurs.

Conclusion et action

Cette loi doit donc encore être améliorée, mais même en l’état, nous ne sommes même pas sûrs qu’elle soit adoptée au Sénat. En effet, il semblerait que les sénateurs de la République en marche s’abstiendraient et que les Républicains voteraient contre ce qui la rendrait caduque. Pour Générations futures, même si nous sommes réservés sur l’intérêt d’un tel fonds, il aura le mérite de reconnaître le statut de victime pour tous celles et ceux qui sont impactés par ces produits, utilisateurs comme non d’utilisateur. En outre, ce fonds ne saurait décharger les industriels et l’État de leur responsabilité vis-à-vis du scandale de santé publique qui se joue autour des pesticides. De même, ce fonds ne peut en aucun être la réponse unique à ces enjeux sanitaires.

Vous pouvez interpeler votre sénateur en vous rendant sur le site de Générations Futures.