Alain Hebrard et al. c. Ministère Public

Non renseigné
19 juin 2020
Jugement définitif
France, Caen

Acteurs économiques, Agriculteurs
Hebrard Alain, Laroze Benoît, SARL Laroze et fils, GAEC Saint-Lo, EARL Joret, SCEA de la Quenaudière, SARL Emilie Saint, EARL Pierric Neel, SCEA de la Bergerie, Join Jean-Marie, Lefbvre Julien, Quesnault Jeremy
Ministère public
Philippe de Castro, François Lafforgue

Pénal
Nématicide, Dichloropropène
Contester le jugement prononcé en première instance par le tribunal de Coutances du 19 mai 2021
Cour d'appel de Caen, France
Appel

10 février 2023
Positif
8 exploitations maraîchères et leurs 3 intermédiaires condamnés à des amendes de 10.000 à 80.000 €. L'intermédiaire qui commandait les produits en Espagne condamné à 80.000 € d'amendes dont 30.000 avec sursis. L'homme qui regroupait les commandes condamné à 60.000 € d'amende dont 30.000 avec sursis. L'entreprise de travaux agricoles qui épandait le produit la nuit et faisait de fausses factures d'élagage condamnée à 20.000 € d'amende dont 10.000 avec sursis.

Dans un arrêt du 10 février 2023, la Cour d’Appel de Caen a condamné les exploitants de carottes de Créances (Manche) pour leur détention et utilisation illégale du dichloropropène ainsi que leurs intermédiaires pour avoir mis sur le marché ce produit phytopharmaceutique et avoir recommandé son utilisation. L’utilisation de cette substance active avait été interdite par l’Union européenne en 2009, avec des dérogations possibles, comme en France jusqu’en 2018.

La Cour a ainsi confirmé le jugement rendu en première instance par le Tribunal de Coutances le 19 mai 2021, dont un seul des intermédiaires, Pascal Madeleine, n’avait pas fait appel. Ce dernier avait été condamné à 60 000 euros d’amende dont 30 000 avec sursis pour publicité et recommandation d’un produit phytosanitaire sans autorisation de mise sur le marché.

Suite à un signalement communiqué au parquet de Coutances, une enquête a été ouverte en 2020 et a déterminé que le dichloropropène était acheté et importé illégalement d’Espagne et utilisé et répandu dans le secteur de Créances par les agriculteurs. La facturation de ces produits était réalisée sous la forme de fausses factures dissimulant l’origine et la nature de ces produits. Selon Ouest France, la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP) a retrouvé, lors de ses visites, 200 bidons vides de cette substance avant d’en déceler la présence récente dans les échantillons de terre prélevée. In fine, près de 100 tonnes y ont été épandues entre février 2018 et novembre 2020.

La Cour d’appel de Caen a confirmé les condamnations prononcées en première instance, tout en rehaussant le montant des amendes. Le premier intermédiaire Alain Hebrard qui commandait les produits en Espagne a ainsi été condamné à 50.000 euros d'amendes, et 6 mois de prison avec sursis pour publicité, recommandation (L 253-15 du code rural et de la pêche maritime) et mise sur le marché en bande organisé (article 132-71 du code pénal) de produits phytosanitaires sans Autorisation de Mise sur le Marché (AMM), ainsi que pour blanchiment aggravé par l’aide de professionnels à la justification mensongère de l'origine des biens (article 324-1 du code pénal). L'entreprise de travaux agricoles - la SARL Laroze - qui épandait le produit la nuit et qui faisait de fausses factures d'élagage a été condamnée à 20.000 euros d'amende dont 10.000 avec sursis pour application de produits phytopharmaceutiques sans AMM. Quant aux exploitants et exploitations agricoles, ils ont été condamnés pour détention et utilisation de produits phytopharmaceutiques ne bénéficiant pas d’AMM (article L 253-15 du code rural), non accomplissement des opérations d’élimination de produits phytosanitaires sans AMM (L 253- 15 du code rural), ainsi que faux et usage de faux par une personne morale. Leurs amendes s’élèvent entre 8 000 et 30 000 euros.

La recevabilité des parties civiles a été confirmée et leurs indemnités rehaussées.

Par ailleurs, la Cour a également ordonné la publication d’un communiqué dans le journal Ouest France édition régionale avec une désignation nominative des condamnés des faits en cause et de la recevabilité et l’indemnisation des associations parties civiles. De plus, les producteurs devront détruire leurs stocks considérés comme impropres à la vente et à la consommation.

Les exploitants ont formé un pourvoi en cassation et ont transmis une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Dans une décision préalable en date du 12 décembre 2023, la Cour de Cassation a décidé de ne pas renvoyer au Conseil constitutionnel la question jugeant qu'elle n’était ni nouvelle ni sérieuse. La question était la suivante: "Les dispositions des articles L. 253-15, L. 253-17 et L. 254-12 du code rural et de la pêche maritime, en ce qu'elles ne subordonnent pas l'entrée en vigueur des incriminations et des sanctions pénales qu'elles édictent à la mise en place d'une alternative à l'utilisation d'un produit phytopharmaceutique, cependant que l'article L. 253-6 dudit code, qui prévoit pourtant la mise en oeuvre du Plan d'action national pour une utilisation durable des produits phytopharmaceutiques, n'a occasionné la mise en place d'aucune alternative, et qu'il a été mis fin subitement aux dérogations du ministre de l'agriculture continuellement renouvelées depuis plusieurs années permettant l'utilisation de ces produits, sont-elles contraires aux principes de confiance légitime et de sécurité juridique, garantis par l'article 16 de la Déclaration de 1789 et à la liberté d'entreprendre garantie par l'article 4 de ladite Déclaration ?".

L’affaire sera prochainement tranchée au fond.