CRAN et al. c. État français

2006925/6-2, 2107178/6-2, 2126538/6-2
05 mai 2020
Jugement définitif
France, Paris

Associations Santé / alimentation, Particuliers
1 241 requérant.es, Association CRAN (Conseil représentatif des associations noires), Association VIVRE Guadeloupe, Collectif LYANNAJ POU DEPOLYE MATINIK
Etat
Christian Lèguevaques

Administratif
Action de classe
Insecticide, Chlordécone, Organochloré, Curlone, Kepone 5 % SEPPIC, Musalone
Reconnaître la responsabilité de l’Etat pour carence fautive dans l’utilisation de ses pouvoirs de police et de son obligation d’information concernant le chlordécone ; Indemniser le préjudice né de l’attribution des autorisations provisoires de vente par l’Etat français pour les produits Kepone et Curlone et le préjudice moral d'anxiété des personnes ayant résidé en Guadeloupe ou Martinique depuis 1972 pendant plus de 12 mois découlant des comportements fautifs de l’Etat
Tribunal administratif de Paris , France

24 juin 2022
Positif partiel
Les services de l'État sont coupables de négligence fautive pour la vente d'insecticides contenant du chlordécone. Le tribunal reconnait la responsabilité mais refuse d'indemniser le préjudice d'anxiété invoqué par les requérants en raison d'absence d'éléments personnels et circonstanciés.

Le 24 juin 2022, le Tribunal administratif de Paris a déclaré l'État responsable à raison de la carence fautive de l’autorité administrative dans le processus d'homologation du chlordécone, un insecticide organochloré utilisé pour combattre le charançon du bananier en Martinique et en Guadeloupe entre les années 1970 et 1990. Produits sous différentes appellations, les insecticides à base de chlordécone ont contaminé non seulement les sols, l’eau potable et de nombreuses espèces locales, mais également, par voie alimentaire, entre 92 et 95% des habitants de la Martinique et de la Guadeloupe.

Cette décision s’inscrit plus largement dans un mouvement contentieux tendant à engager la responsabilité de l’Etat pour avoir autorisé à plusieurs reprises l’utilisation du chlordécone dans les cultures de bananier, alors même que la toxicité du produit et ses effets nocifs pour la santé humaine comme pour l’environnement étaient connus des autorités. En 2006, est ainsi initiée une action pénale sur les fondements de l'empoisonnement et de la mise en danger d’autrui, qui aboutira à un non lieu en 2022 (voir fiche "ASSAUPAMAR et al c. X").

En mai 2020, 1 241 requérant.es, dont l’association CRAN et le collectif Lyannaj pou Depolye Matinik, ont saisi le Tribunal administratif de Paris afin d’annuler la décision implicite du gouvernement français de rejeter leur demande d’indemnisation au titre du préjudice né de l’homologation répétée de produits à base de chlordécone entre 1972 et 1993, et d’un préjudice moral d’anxiété résultant notamment d’un défaut d’information et de transparence de l’Etat dans la gestion des conséquences de l'usage du chlordécone.

Le Tribunal administratif a retenu que les requérants étaient fondés à soutenir que les services de l’Etat avaient commis des négligences fautives en permettant la vente des produits insecticides à base de chlordécone de 1972 à 1993 (Kepone, Seppic, Musalone et Curlone), sous le régime des autorisations provisoires de vente au-delà du délai de six ans prévu par les textes, puis en validant son homologation sans pouvoir établir, dans les conditions prescrites, son innocuité sur la santé de la population, des cultures et des animaux, et, enfin, en autorisant la poursuite des ventes au-delà des délais légalement prévus en cas de retrait de retrait des autorisations. L'Etat a donc été reconnu responsable pour carence fautive dans l’utilisation de chlordécone dont la toxicité était connue des autorités depuis la fin des années 1950, inscrivant cette décision dans la continuité de la jurisprudence française sur la responsabilité de l’Etat en matière de santé publique.

Cependant, le juge administratif a considéré en l’espèce que les requérants ne faisaient état d’aucun élément personnel et circonstancié permettant de justifier le préjudice d'anxiété dont ils se prévalaient, outre le fait qu’ils et elles auraient résidé en Martinique ou en Guadeloupe pendant plus de douze mois depuis 1973. Les risques cancérigènes de l’exposition au chlordécone chez les adultes, ainsi que l’impact de l’exposition prénatale sur la motricité et les scores de préférence visuelle chez les nouveaux-nés ont pourtant été soulignés à travers la décision.

De plus, le Tribunal administratif a écarté les griefs fondés sur le retard dans la prise en charge de la pollution au chlordécone et sur le défaut d’information des populations, considérant que les services de l’Etat avaient pris des mesures dès les premiers prélèvements dans les eaux de captage mettant en évidence la présence de chlordécone et avaient apporté aux populations des informations suffisamment claires et précises sur la conduite à tenir s’agissant de la consommation des produits contaminés.