Ascenza Agro et Industrias Afrasa c. Commission européenne

T-77/20
10 février 2020
Jugement définitif
Union européenne, Luxembourg

Acteurs économiques
Ascenza Agro, Afrasa
Commission européenne
Antoine Bailleux (pour HEAL)

UE
Insecticide, Chlorpyrifos, Chlorpyriphos-méthyl, Organophosphoré
Annuler le règlement d’exécution (UE) 2020/17 de la Commission du 10 janvier 2020 portant sur le non-renouvellement de l’approbation de la substance active « chlorpyriphos-méthyl ».
Cour de Justice de Luxembourg, Union européenne

04 octobre 2023
Positif
Le recours est rejeté.
Non renseigné

Le 4 octobre 2023, le Tribunal de l’Union européenne (TUE) a rejeté la demande de deux fabricants de produits phytopharmaceutiques, la société portugaise Ascenza Agro et l'entreprise espagnole Industrias Afrasa, d’annuler le règlement d’exécution (UE) 2020/17 adopté par la Commission européenne le 10 janvier 2020 portant sur le non-renouvellement de l’approbation de la substance active du chlorpyriphos-méthyl (CHP-méthyl).

Le CHP-méthyl est une substance active utilisée dans les produits phytopharmaceutiques pour lutter contre les organismes nuisibles et pour traiter les céréales stockées ainsi que les entrepôts vides. De même que le chlorpyriphos, interdite le 10 janvier 2020 également, il appartient à un groupe de produits chimiques appelés organophosphorés. En 2005, le CHP-méthyl est autorisé à la production, la vente et l’utilisation au sein de l'UE pour une période de 10 ans. Son homologation sera par la suite prorogée à trois reprises jusqu’en 2020.

En parallèle, depuis 2017 et jusqu’à l’adoption du règlement litigieux en 2020, plusieurs études scientifiques ont été menées sur les effets potentiellement toxiques de la substance. L’Espagne, Etat membre rapporteur (EMR) en charge d’évaluer la toxicité de la substance, et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ont ainsi mené plusieurs cycles d’études et de consultation avec la société civile et des experts scientifiques indépendants.

Dans un premier temps, l’EMR et l’EFSA n’ont pas relevé l’existence d’un risque génotoxique du CHP-méthyl. Cependant, en se fondant sur la littérature disponible sur le chlorpyriphos, une substance à la structure similaire à celle du CHP-méthyl, pour laquelle des préoccupations existantes étaient établies, les experts ont conclu “qu’aucune valeur de référence ne pouvait être établie tant pour la génotoxicité que pour la neurotoxicité pour le développement, ce qui rendait impossible l’évaluation du risque pour les consommateurs, les opérateurs, les travailleurs, les personnes présentes et les résidents”. L’existence de lacunes dans la documentation scientifique et d'incertitudes devait donc être prise en compte.

Après avoir reçu à plusieurs reprises les observations d’Ascenza, l’EFSA a finalement considéré que le CHP-méthyl était potentiellement dangereux pour la santé humaine, de sorte que les critères d’approbation d’une substance active fixés à l’article 4 du règlement (UE) 1107/2009 en termes de protection de la santé humaine n’étaient pas remplis. Le 10 janvier 2020, la Commission a donc décidé de ne pas renouveler l'homologation du CHP-méthyl.

Afin d’obtenir l'annulation du règlement d’exécution, les sociétés requérantes ont notamment argué d’une mauvaise application du principe de précaution par la Commission (I), et ont contesté le recours par les autorités européennes de la méthode des références croisées et de la force probante pour combler les lacunes dans la littérature scientifique quant aux effets neurotoxiques et génotoxiques du CHP-méthyl (II). Le TUE a rejeté l’ensemble des moyens invoqués.

I) Le TUE rappelle que le principe de précaution s’applique lors de la phase d’évaluation des risques, et non pas de la seule phase de gestion des risques, comme l’avançaient les sociétés requérantes. Ainsi, “les autorités responsables de l'évaluation des risques peuvent prendre des mesures de protection dès lors qu’il existe une incertitude quant aux effets de la substance pour la santé humaine, “sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées”. Le TUE note qu’une simple incertitude quant à la présence d’un risque suffit à appliquer le principe.

Le TUE précise que lors de l’évaluation des risques, il faut non seulement tenir compte des données scientifiques disponibles les plus fiables ainsi que des résultats les plus récents de la recherche internationale, mais aussi de ne pas donner dans tous les cas un poids prépondérant aux études fournies par le demandeur. Le TUE consacre ici un principe d’actualisation de la procédure d’évaluation des risques d’une substance active.

II) Conformément au règlement (UE) 1907/2006 (règlement REACH) portant sur la fabrication et l’utilisation de substances chimiques, la méthode des références croisée est “une méthode selon laquelle les propriétés de certaines substances peuvent être prédites sur le fondement des données existantes relatives à d’autres substances de référence ayant une similarité structurelle avec les premières.”

L’EFSA, qui bénéficie d’une large marge d’appréciation dans le choix des modalités d’évaluation qu’elle applique, à condition que son évaluation soit basée sur des critères scientifiques, pouvait user de cette méthode de façon suffisamment fiable d’un point de vue scientifique pour combler les lacunes dans les données concernant la neurotoxicité et la génotoxicité. Cette large marge d'appréciation, dont bénéficie également la Commission, justifie que le contrôle du juge européen se limite à l’erreur manifeste d’appréciation, qui n’est pas qualifiée en l’espèce.

L’approche fondée sur la force probante est quant à elle détaillée dans le règlement (CE) 1272/2008 relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, et reconnaît que “les propriétés de certaines substances peuvent [...] être prédites sur le fondement de données provenant de plusieurs sources d’informations indépendantes”. Comme le souligne le Tribunal, ces deux méthodes permettent d’éviter que chaque substance soit testée sur des animaux, conformément à l’objectif fixé au considérant 40 du règlement (UE) 1107/2009.

Le TUE rejette en totalité la demande d’annulation formée par les sociétés requérantes et les condamne aux dépens.