Avant la publication de la stratégie « Farm to Fork » et le REFIT*, un nouvel article scientifique critique l’évaluation des risques des pesticides

  21 avril 2020

La « reprise verte » après la crise COVID-19 exige un système alimentaire sain et durable

Un nouvel article d’un groupe d’experts en droit, en politique et en toxicologie, identifie des défaillances systémiques dans le processus d’évaluation des risques liés aux pesticides en Europe.

La communication de notre partenaire PAN-EU :

Ces défaillances étant de nature à sérieusement compromettre les objectifs d’une agriculture durable et d’une « reprise verte » après la pandémie du COVID-19, les auteurs suggèrent un plan d’action complet pour une réforme de grande envergure.

Des appels à la reprise verte ont été lancés par 13 ministres européens du climat et de l’environnement, par 180 décideurs politiques, chefs d’entreprise, chercheurs et organisations non gouvernementales (ONG), ainsi que par le WWF. Le 16 avril, Frans Timmermans, vice-président exécutif de la Commission européenne en charge du « Green Deal » européen, a ajouté sa voix pour demander la fin des anciens modèles de production polluants et le passage à une « économie circulaire, durable et hautement compétitive ».

Ces personnalités s’accordent à dire que le statu quo n’est pas une option.

Défaillances réglementaires

Selon cet article, publié dans la revue à comité de lecture European Journal of Risk Regulation, l’Europe ne parvient pas à mettre en œuvre et à faire respecter ses propres réglementations sur les pesticides. Alors que le Règlement européen 1107/2009 sur les pesticides est, en théorie, l’un des plus stricts au monde, il n’a pas atteint son objectif, à savoir « une évaluation indépendante, objective et transparente des pesticides et un niveau élevé de protection de la santé et de l’environnement ». L’article présente une série de recommandations pour résoudre ces problèmes.

S’appuyant sur l’exemple du glyphosate, en tant qu’étude de cas de controverse scientifique et réglementaire, l’article souligne :

  • Une utilisation et une interprétation erronées de la recherche scientifique très répandues, avec sélection d’études favorables, plagiat et répétition sans critique de résultats présentés comme validés indépendamment, et mauvaise utilisation des outils statistiques et analytiques ;
  • Une incapacité persistante à traiter les effets des mélanges, y compris des additifs qui, même s’ils peuvent modifier le profil de toxicité de la matière active, ne font pas partie du processus d’autorisation des pesticides ;
  • Une incapacité chronique à traiter correctement les conflits d’intérêts au sein des organismes de réglementation, ce qui compromet l’indépendance et l’objectivité des évaluations des pesticides.

En raison de ces défaillances, de nombreux pesticides passent le processus réglementaire et sont autorisés en dépit de leur potentiel à nuire à la santé humaine et animale et à l’environnement.

Solutions proposées

Les auteurs constatent que, pour l’essentiel, ce n’est pas la loi qui est en cause. Le problème réside plutôt dans le fait que les organismes de réglementation ne mettent pas en œuvre ou n’appliquent pas les lois contraignantes ou incitatives qui régissent la manière dont les pesticides sont réglementés.

Ils proposent des moyens d’améliorer le système, qui exigent des changements dans la manière dont les organismes de réglementation réalisent le processus d’évaluation des risques, ainsi que dans la manière dont les connaissances et les outils d’analyse scientifiques sont appliqués.

Ils recommandent notamment :

  • Une utilisation plus large des méthodes de « revue systématique » pour garantir l’objectivité et la transparence de l’évaluation des résultats de la recherche scientifique ;
  • Une utilisation appropriée de l’approche de « poids de la preuve » pour intégrer différentes sources de preuves, de sorte que, par exemple, les différents types de preuves indiquant qu’un pesticide est cancérigène ne soient pas évalués et rejetés séparément, mais soient considérés ensemble de manière intégrée ;
  • Une évaluation de la toxicité des formulations de pesticides telles qu’elles sont vendues et utilisées, plutôt que les seuls ingrédients « actifs » isolés, actuellement testés et évalués réglementairement pour leur sécurité – puisque les formulations peuvent être beaucoup plus toxiques ;
  • La fin du plagiat des interprétations de l’industrie sur les données de sécurité par les autorités de réglementation  – les autorités de réglementation doivent procéder à des évaluations des données objectives et indépendantes.

Détails de l’article

Achieving a High Level of Protection from Pesticides in Europe: Problems with the Current Risk Assessment Procedure and Solutions

Claire ROBINSON, Christopher J. PORTIER, Aleksandra ČAVOŠKI, Robin MESNAGE, Apolline ROGER, Peter CLAUSING, Paul WHALEY, Hans MUILERMAN and Angeliki LYSSIMACHOU

DOI: https://doi.org/10.1017/err.2020.18

European Journal of Risk Regulation, 16 April 2020

https://www.cambridge.org/core/journals/european-journal-of-risk-regulation/article/achieving-a-high-level-of-protection-from-pesticides-in-europe-problems-with-the-current-risk-assessment-procedure-and-solutions/1162DF6B1E3DF00FB801F484FD3ADB91#

Contexte

Le récent article s’appuie sur les travaux d’un groupe interdisciplinaire de scientifiques, de juristes et de décideurs politiques – dont les auteurs de ce document – qui ont formé en 2018 la coalition Citizens for Science in Pesticide Regulation. Plus de 140 ONG ont adhéré au manifeste de la coalition, exigeant une réforme de l’évaluation des risques afin de garantir que l’utilisation des pesticides ne cause pas de dommage aux êtres humains, aux animaux et à l’environnement.

Cet article est publié alors que la Commission européenne se prépare à publier sa stratégie « de la ferme à la table » (F2F) dans le cadre du « Green Deal » européen. F2F vise à « garantir un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement » et comprendra « des mesures visant à réduire de manière significative l’utilisation et les risques liés aux pesticides chimiques ».

Dr. Angeliki Lyssimachou, l’un des auteurs de l’article et responsable de la politique scientifique au sein de Pesticide Action Network Europe, déclare : « La réduction des risques ne peut avoir lieu que si l’évaluation des risques est effectuée correctement. Certains pesticides, qui sont pourtant passés par le processus règlementaire d’autorisation, ne devraient pas être mis sur le marché car ils sont toxiques. Les régulateurs doivent s’assurer que les dernières connaissances scientifiques et les méthodes d’évaluation objectives sont mises en œuvre tout au long de la procédure d’évaluation. »

En plus du F2F, la Commission va publier son évaluation REFIT de la législation européenne sur les pesticides, attendue depuis longtemps, afin d’évaluer « si la réglementation répond efficacement aux besoins des citoyens, des entreprises et des institutions publiques » et de formuler des recommandations sur les actions futures. Le fait que REFIT semble se concentrer sur l’amélioration de la réglementation européenne au bénéfice de l’industrie et que la réglementation sur les pesticides en sera délibérément affaiblie suscite beaucoup d’inquiétude.

La publication de F2F ainsi que du REFIT du règlement sur les pesticides ont été reportées en raison de la crise du COVID-19, et l’association européenne des exploitants agricoles COPA-COGECA fait pression pour que ces publications soient reportées à l’automne – ou pour qu’une étude d’impact soit d’abord réalisée.

Mais Claire Robinson, rédactrice en chef de GMWatch et première auteure de l’article, déclare : « Le COVID-19 nous montre que la santé humaine doit être la priorité et qu’une production alimentaire saine et durable est cruciale. Nous ne pouvons pas nous permettre de retarder davantage la mise en place d’un système alimentaire sain, durable et résistant. »

Cette urgence est reconnue dans une lettre ouverte signée par 40 associations qui demandent à la Commission de ne pas retarder davantage la publication de F2F et de « montrer qu’elle oriente activement l’UE vers un avenir plus vert, dont les systèmes alimentaires durables et résilients sont une partie essentielle. »

Citations des auteurs

Dr. Apolline Roger, conseillère juridique et politique de ClientEarth déclare : « Le règlement sur les pesticides comporte des éléments excellents. Pour l’essentiel, ce n’est pas la loi qui doit être réformée, mais la manière dont elle est mise en œuvre. Nous détaillons les réformes qui sont nécessaires dans nos recommandations. »

Le professeur Christopher Portier, scientifique senior au Fonds de défense de l’environnement et ancien directeur du Centre national américain pour la santé environnementale, déclare : « La rigueur scientifique et la transparence totale sont essentielles tant pour l’évaluation des données utilisées dans la prise de décision réglementaire que pour la confiance que le public aura dans ces évaluations. Cet article décrit les améliorations qui renforceront à la fois la rigueur scientifique et la transparence. »

Paul Whaley, de l’université de Lancaster au Royaume-Uni, spécialiste des nouvelles méthodes d’évaluation des risques sanitaires liés à l’exposition aux produits chimiques, déclare : « L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a joué un rôle de premier plan au niveau mondial en proposant des réformes de l’utilisation de la recherche scientifique dans l’évaluation des risques liés aux pesticides, notamment en appliquant des méthodes de revue systématique pour analyser les preuves de risques potentiels pour la santé. Le problème est que ces réformes sont mises en œuvre trop lentement et trop inégalement, ce qui fait que trop de produits chimiques sont évalués avec des méthodes obsolètes, opaques et produisant des résultats peu fiables. »

Dr. Peter Clausing, toxicologue au Pesticide Action Network Germany, déclare : « L’approche du « poids de la preuve » est un concept important pour consolider les données scientifiques. Notre document montre qu’il y a une marge d’amélioration considérable dans la manière dont les autorités européennes utilisent ce concept lors de l’évaluation des risques liés aux pesticides ».

La professeure Aleksandra Čavoški, de l’université de Birmingham, déclare : « L’EFSA a fait des progrès significatifs dans l’amélioration de sa politique d’indépendance dans le but de prévenir l’effet dit des portes tournantes. Mais cette politique d’indépendance ne va pas assez loin pour prévenir les conflits d’intérêts qui peuvent résulter de l’octroi de fonds de recherche. »

Contacts :

Dr. Arnaud Apoteker, Justice Pesticides +33 607573160 ; contact@justicepesticides.org

Dr. Angeliki Lyssimachou, PAN Europe +32 496392930 ; angeliki@pan-europe.info

*  REFIT : programme pour une réglementation affûtée et performante (programme de la Commission européenne visant à rendre la réglementation européenne plus « efficace ».