Procédure pénale contre Mathieu Blaise et al.

C-616/17
26 octobre 2017
Jugement définitif
Union européenne, Luxembourg

Justice, Acteurs économiques
Procureur de la république de Foix, Espace Emeraude
ONG environnementales, Particulier
Guillaume Tumerelle

UE
Renvoi préjudiciel
Herbicide, Glyphosate, Roundup
Le règlement (CE) n° 1107/2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques est-il conforme au principe de précaution ?
Cour de Justice de l'Union européenne de Luxembourg, Union européenne

01 octobre 2019
Négatif
L’examen des questions préjudicielles n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement (CE) n°1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil.

Dans un arrêt du 1er octobre 2019, la Cour de Justice de l’Union européenne a répondu aux 4 questions préjudicielles portant sur la validité du règlement n°1107/2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques au regard du principe de précaution, qui lui ont été transmises par un jugement avant dire droit du Tribunal correctionnel de Foix relatif aux actes de dégradation et de destruction de bidons de désherbants contenant du glyphosate dans des magasins.

Devant cette juridiction, les prévenus, des Faucheurs Volontaires Anti-OGM, ont invoqué l’état de nécessité et le principe de précaution, en faisant valoir que leurs agissements avaient pour but d’alerter les magasins concernés et leur clientèle sur les dangers liés à la commercialisation, sans avertissements suffisants, de désherbants contenant du glyphosate et de protéger la santé publique ainsi que leur propre santé. Afin de se prononcer sur le bien-fondé de cet argument, la juridiction de renvoi s'est interrogée sur l’aptitude de la réglementation de l’Union à assurer pleinement la protection des populations et a estimé, dès lors, devoir statuer sur la validité du règlement n°1107/2009 au regard du principe de précaution. Dans ces conditions, le Tribunal correctionnel de Foix a interrogé la Cour sur quatre points.

(I) Tout d'abord, sur la conformité du règlement n°1107/2009 au principe de précaution lorsqu’il omet de définir précisément ce qu’est une substance active, laissant le soin au pétitionnaire de choisir ce qu’il dénomme substance active dans son produit, et lui laissant la possibilité d’orienter l’intégralité de son dossier de demande sur une substance unique alors que son produit fini commercialisé en comprend plusieurs. La Cour considère que les choix opérés par le législateur de l’Union ne sont pas entachés d'une erreur manifeste d'appréciation en la matière, dès lors qu'il incombe aux autorités compétentes des Etats membres de s’assurer que l’obligation d’identifier les substances actives contenues dans le produit phytopharmaceutiques visé par une demande d’autorisation a été respectée par le demandeur (point 59) et qu'en tout état de cause, le titulaire d’une autorisation portant sur un produit phytopharmaceutique, qui n’aurait pas, dans sa demande d’autorisation, mentionné l’ensemble des substances actives contenues dans celui-ci, s’exposerait, en vertu de l’article 44, paragraphe 3, sous a) et b), dudit règlement, à ce que cette autorisation lui soit retirée (point 60).

(II) Ensuite, sur la conformité dudit règlement au principe de précaution lorsqu’il ne tient aucun compte des effets cumulés des composants des pesticides. La Cour statue que le législateur de l’Union a imposé la prise en compte des effets potentiels du cumul des divers composants d’un produit phytopharmaceutique (substances actives, phytoprotecteurs, synergistes, co-formulants) aussi bien lors de la procédure d’approbation des substances actives que lors de celle d’autorisation des produits phytopharmaceutiques (point 65).

(III) De plus, sur la question de savoir si principe de précaution et l’impartialité de l’autorisation de commercialisation sont assurés lorsque les tests, analyses et évaluations nécessaires à l’instruction du dossier sont réalisés par les seuls pétitionnaires pouvant être partiaux dans leur présentation, sans aucune contre-analyse indépendante et sans que soient publiés les rapports de demandes d’autorisation sous couvert de protection du secret industriel, la Cour juge en deux temps de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation.

(a) D'abord, sur la circonstance que les essais, les études et les analyses nécessaires aux procédures d’approbation d’une substance active et d’autorisation d’un produit phytopharmaceutique sont fournis par le demandeur, sans contre-analyse indépendante, la Cour statue qu'il n'y a pas d'erreur manifeste d'appréciation, dès lors que d'une part, les autorités compétentes ne sauraient se fonder, en vue de s'assurer de l'absence d'effet nocif d'un produit phytopharmaceutique, sur des essais, des analyses et des études pour lesquels le demandeur n’aurait pas fourni d’éléments démontrant qu’ils ont été réalisés par une institution fiable sur la base de méthodes conformes aux principes scientifiques admis (point 91) et que d'autre part, l’État membre saisi d’une demande doit procéder à une évaluation indépendante, objective et transparente de cette demande à la lumière des connaissances scientifiques et techniques actuelles tandis que l’Autorité doit se prononcer compte tenu de l’état actuel des connaissances scientifiques et technique (point 88), ce qui implique qu'ils sont tenus impérativement de prendre en compte les éléments pertinents autres que les essais, les analyses et les études produits par le demandeur qui contrediraient ces derniers (point 93) et de tenir compte des données scientifiques disponibles les plus fiables ainsi que des résultats les plus récents de la recherche internationale et de ne pas donner dans tous les cas un poids prépondérant aux études fournies par le demandeur (point 94).

(b) Puis, sur la publicité du dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché de pesticides, la Cour reconnaît d'abord que "le renforcement de la transparence de ces procédures soit de nature à permettre une meilleure évaluation encore du risque pour la santé résultant de l’utilisation d’un produit phytopharmaceutique" (point 102). Elle rappelle par ailleurs que l'exception tirée de la directive 2003/04/CE concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement, selon laquelle "les États membres ne peuvent prévoir qu’une demande d’accès qui concerne des informations relatives à des émissions dans l’environnement soit rejetée pour des motifs tirés de la protection de la confidentialité des informations commerciales ou industrielles", s'applique aux études destinées à évaluer le caractère nocif de l’utilisation d’un produit phytopharmaceutique ou la présence dans l’environnement de résidus après l’application de ce produit (points 107 et 108).

(IV) Enfin, sur la compatibilité avec le principe de précaution de la dispense alléguée d’études de carcinogénicité et de toxicité aux fins de la procédure d’autorisation, la Cour reconnait que le règlement n°1107/2009 “ne prévoit pas de manière détaillée la nature des essais, des analyses et des études auxquels les produits phytopharmaceutiques doivent être soumis avant de pouvoir bénéficier d’une autorisation." (point 111). Toutefois, la Cour, en interprétant ledit règlement, conformément à ses articles 4 paragraphe 3, alinéa b) et 29 paragraphe 1, alinéa e), affirme qu'un produit phytopharmaceutique ne saurait être considéré comme satisfaisant à la condition d'absence d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine, lorsqu’il présente une forme de carcinogénicité ou de toxicité à long terme. Elle conclut donc qu'“Il incombe donc aux autorités compétentes, lors de l’examen de la demande d’autorisation d’un produit phytopharmaceutique, de vérifier que les éléments présentés par le demandeur, [...] sont suffisants pour écarter, à la lumière des connaissances scientifiques et techniques actuelles, le risque que ce produit présente une telle carcinogénicité ou toxicité (point 116)”.